Lorsque l’adoption d’une décision des associés de société civile nécessite l’unanimité, cette décision doit être approuvée par tous les associés de la société et pas seulement par ceux qui participent à l’assemblée. A défaut, cette décision est nulle.
Dans les sociétés civiles, les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants sont prises selon les dispositions des statuts ou, en l’absence de telles dispositions, à l’unanimité des associés (C. civ. art. 1852).
Ce texte ne limite pas l’unanimité à celle des associés présents ou représentés à une assemblée, mais vise la totalité des associés de la société.
La décision adoptée en violation de cette exigence d’unanimité (ou des clauses des statuts qui l’aménagent) est nulle car l’article 1852 constitue une disposition impérative au sens de l’article 1844-10 du Code civil.
Après avoir énoncé ces principes, la Haute Juridiction a déclaré nulles les décisions d’approuver les comptes d’une société civile, donner quitus au gérant et distribuer des dividendes prises à l’unanimité des associés présents à une assemblée, alors que certains autres associés n’y étaient ni présents ni représentés et que les statuts ne prévoyaient pas de clause dérogeant au principe d’unanimité.
Cass. 3e civ. 5-1-2022 no 20-17.428 FS-B
1/ C’est la première fois que la Cour de cassation définit la notion d’unanimité des associés.
La cour d’appel de Versailles avait déjà retenu que l’unanimité s’entend de la totalité des associés liés par le pacte social et non des seuls associés présents à l’assemblée, à propos de la transformation d’une société en SAS, qui nécessite, elle aussi, l’unanimité des associés en application de l’article L 227-3 du Code de commerce (CA Versailles 24-2-2005 no 03-7294 : RJDA 6/05 no 719). L’Association nationale des sociétés par actions a également pris position en ce sens (Communication Ansa, comité juridique no 3219 du 8-1-2003).
La solution repose sur la conception selon laquelle l’unanimité exigée par la loi est l’expression d’un consentement individuel des associés, pris en leur qualité d’associés, et non un mode particulier de scrutin lors des décisions collectives.
Elle est à notre avis transposable à toutes les situations dans lesquelles la loi requiert l’« unanimité des associés » (ou des actionnaires) pour l’adoption d’une décision dans une société. Il en est ainsi par exemple pour l’adoption d’une clause d’inaliénabilité dans une SAS (C. com. art. L 227-19, al. 2), l’augmentation de capital en numéraire par élévation du montant nominal des actions d’une société anonyme (SA) (C. com. art. L 225-130) ou encore la transformation d’une SARL ou d’une SA en société en nom collectif (C. com. art. L 223-43 et L 225-245). Rappelons en outre que, en aucun cas, les engagements d’un associé ne peuvent être augmentés sans son accord (C. civ. 1836, al. 2).
L’exigence de consentement individuel des associés leur confère un droit de veto. Elle peut conduire à des situations de blocage, notamment en présence d’un grand nombre d’associés ou d’actionnaires ou encore lorsque certains d’entre eux sont inconnus (cas des actions « en déshérence » : cf. C. com. art. L 228-6-3).
2/ Il convient à notre avis de recueillir l’accord des associés ou des actionnaires n’ayant pas le droit de vote aux assemblées (par exemple, en cas de défaut de libération des versements exigibles sur des actions, de participations croisées ou de détention d’actions de préférence sans droit de vote). En effet, ce n’est pas en leur qualité de membres d’une assemblée que ceux-ci sont appelés à se prononcer, mais d’associés.
3/ Des difficultés additionnelles peuvent apparaître en présence de droits concurrents sur des droits sociaux.
Ainsi, en cas d’indivision, la qualité d’associé est reconnue à chacun des indivisaires (Cass. com. 21-1-2014 no 13-10.151 F-PB : RJDA 5/14 no 443 ; Cass. com. 7-7-2020 no 18-19.330 F-D : RJDA 11/20 no 571). Toute prise de décision à l’unanimité nécessite donc à notre avis le consentement de tous les indivisaires.
Lorsque les droits sociaux sont démembrés, seul le nu-propriétaire a la qualité d’associé (Cass. com. avis 1-12-2021 num 20-15.164 FS-D : BRDA 2/22 inf. 1). C’est donc son accord qu’il convient de recueillir. Cette règle peut conduire à une situation paradoxale lorsque, comme en l’espèce, c’est l’affectation des bénéfices d’une société civile qui est en cause. En effet, en cas de décision collective, c’est à l’usufruitier que revient le droit de vote relatif à cette affectation (C. civ. art. 1844, al. 3). Il ne peut pas en être privé car le droit d’user du bien et celui d’en percevoir les fruits sont des prérogatives essentielles que l’article 578 du Code civil attache à l’usufruit (Cass. com. 31-3-2004 no 03-16.694 FS-PB : RJDA 6/04 no 711 ; chronique A. Viandier, L’irréductible droit de vote de l’usufruitier : RJDA 8-9/04 p. 859). Dans une telle situation, il conviendrait donc, par prudence, de recueillir l’accord tant du nu-propriétaire (en sa qualité d’associé) que de l’usufruitier (en vertu du droit des biens). Il en va de même dans les SNC en l’absence de clause statutaire dérogeant à l’exigence d’unanimité (C. com. art. L 221-6).
4/ On ne peut que recommander aux sociétés d’anticiper ces éventuelles difficultés en prévoyant dans les statuts, lorsque la loi l’autorise, des règles d’adoption des décisions qui dérogent ou aménagent l’exigence d’unanimité. Il importe d’apporter un soin tout particulier à la rédaction afin que les statuts soient en adéquation avec l’objectif recherché. En cas de difficulté d’interprétation, c’est la règle de l’unanimité qui risque de s’appliquer (pour une illustration, voir Cass. 3e civ. 15-11-1995 no 93-13.830 : RJDA 5/96 no 647).
5/ La nullité des actes ou délibérations des organes d’une société civile ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du titre IX du livre III du Code civil consacré aux sociétés ou des causes de nullité des contrats en général (C. civ. art. 1844-10, al. 3).
La loi qualifie elle-même d’impératives certaines dispositions, telle l’interdiction d’augmenter les engagements d’un associé sans son consentement (C. civ. art. 1836, al. 2 et 1871).
En dehors de ces cas, il revient au juge de déterminer si une disposition est impérative au sens de l’article 1844-10 du Code civil. La Cour de cassation a ainsi jugé impérative la règle prévoyant que la modification des statuts d’une société est décidée à l’unanimité des associés, sauf clause statutaire contraire (C. civ. art. 1836, al. 1 ; Cass. 3e civ. 8-7-2015 num 13-14.348 : RJDA 10/15 no 663). En présence d’une telle clause, sa méconnaissance est, elle aussi, sanctionnée par la nullité de la décision (Cass. 3e civ. 8-7-2015 no 13-14.348 précité). L’arrêt commenté se situe dans la ligne de cette jurisprudence.
On peut raisonnablement penser que la règle, similaire à l’article 1852 du Code civil, imposant dans les SNC l’unanimité des associés pour les décisions excédant les pouvoirs des gérants (C. com. art. L 221-6) serait également qualifiée d’impérative par un juge. Une décision ne modifiant pas les statuts adoptée en méconnaissance de cette exigence (ou des clauses statutaires l’aménageant) serait sanctionnée par la nullité en vertu de l’article L 235-1, al. 2 du Code de commerce. Rappelons que, pour les décisions modifiant les statuts d’une société commerciale, la nullité n’est encourue que si une disposition légale le prévoit (C. com. art. L 235-1, al. 1), sauf fraude ou abus de droit.